Dax, jeudi 15 août 2013, corrida de Cuadri par Benjamin Cluchier
J’ai souvent entendu dire que par le passé la corrida était différente. J’ai souvent lu qu’importait le tiers de piques, et non la lidia. J’ai souvent cru, et à tort, que le public venait avant tout vivre un combat, et qu’importent les dispositions du taureau, il n’en retiendrait que les émotions transparues.
J’ai vécu quelques faenas dans ma vie d’aficionado, et je crois que c’est la première fois qu’un tiers de piques me procure de telles sensations. Il importe guère qu’il fût imparfait. Tito Sendoval, controversé pour sa manière d’accueillir la charge du toro, a donné à son partenaire une réplique fantastique. Deux fois la monture s’écroulera sous la puissance du toro. Quel toro. Six cent vingt-deux kilos, une carrure impressionnante et des mouvements d’une rare violence. On peut lui reprocher tout ce qu’on voudra, son absence de noblesse, de bravoure, de vaillance. On peut lui reprocher l’abus de force, on peut lui en vouloir d’avoir laisser espérer la faena de la décennie. Mais qu’importe, il n’a pas failli devant le cheval.
Il est entré fièrement fouler le sable de la piste de Dax, sans consigne, et il s’est battu. Il s’est battu sans faiblir.
Mais les codes de la corrida moderne ont évolué. On ne veut plus de toros compliqués. On ne veut plus de toros intoréables. On veut des toros nobles, encastés. On leur préfère les « sosos », parce qu’ils accompagnent bêtement la muleta du Maestro et lui procure une gloire facile. On les adule, eux, ces hommes. Et qu’importe le toro qu’ils affrontent, c’est leur talent que l’on vient voir.
Je n’aime pas cette corrida nouvelle. Je n’aime pas les toros parfaits. J’aime ceux qui posent des problèmes. Ceux à qui il est impossible d’imposer une faena préconstituée. Ceux encore qui demandent une réflexion instantanée pour leur distiller quelques passes. Ceux enfin qui transmettent cette indescriptible émotion.
Ce Cuadri-là était trop anticonformiste. Mythe d’une époque révolue, il n’était pas aujourd'hui le bienvenu. Et c’est sous les sifflets ignorants qu’il s’en est allé. Voilà pourquoi je ne pouvais laisser passer sous silence cette triste comédie à laquelle le public dacquois s’est donné.
Benjamin Cluchier