mardi 20 décembre 2011

Un peu de Droit Taurin

Actualité – droit taurin

L'inscription de la corrida au patrimoine culturel immatériel de la France : Artifice ou début d'une véritable reconnaissance juridique ?
par Pauline Serre & Julie Passe





La Corrida a été inscrite le 22 avril 2011 au patrimoine culturel immatériel de la France, ce qui provoque ainsi euphorie et satisfaction chez les uns, et chez les autres, indignation et stupeur.

Force est de constater, qu'au delà du débat juridique, cette pratique suscite toujours autant la controverse, il est d'ailleurs extrêmement rare qu'une coutume à elle seule génère autant de conflits. L'antagonisme repose sur l'opposition ancienne entre acte de cruauté et barbarie d'un côté et pratique culturelle et artistique de l'autre.
Il convient avec un recul nécessaire de s'interroger sur la véritable portée de cette décision, qui intervient dans le cadre de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (I).
Cette inscription est l'occasion de revenir sur la place des spectacles tauromachiques au regard du droit interne et du contexte politique (II).

I/ Quelques réflexions sur la portée juridique de la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

A/ Un instrument venu du droit international.


La notion de patrimoine culturel immatériel résulte de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel adoptée à Paris le 17 octobre 2003 par l'UNESCO dont la France est partie depuis le 4 novembre 1946.
Cette convention internationale est entrée en vigueur, en France, le 11 octobre 2006 après son approbation par la loi n°2006-791.

Comme l'article 55 de la constitution de 1958 l'énonce ; « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celles de la loi, sous réserve de l'application par l'autre partie ». Autrement dit pour le profane, une fois la convention adoptée par l'État, cette dernière fait dès lors partie du bloc de conventionnalité, auquel les lois ordinaires de l'État doivent, en principe, se conformer sous peine de nullité.

Le patrimoine est « un ensemble de biens et d’obligations… qui comprend les biens présents mais aussi à venir » . C’est un ensemble, un tout à prendre en compte. La notion de patrimoine culturel immatériel est apparue au début des années 90 et selon l’article 2 de la Convention citée plus haut « On entend par patrimoine culturel immatériel les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d'identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l'homme, ainsi qu'à l'exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d'un développement durable. »

Cette définition montre bien l’importance de cette notion de patrimoine culturel immatériel et la portée que les rédacteurs ont souhaité lui conférer.

B/ Une protection renforcée par le biais de la convention

Les articles 11 à 15 de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel énoncent les conditions pour que cette sauvegarde puisse être rendue possible.
Ainsi, l’article 11 indique qu'« il appartient aux États de prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde du patrimoine », elle laisse donc aux États eux-mêmes le soin de prendre en charge et à leur compte cette sauvegarde.

Les articles suivants sont plus précis en ce qu’ils donnent des indices aux États, des voies à suivre. Il revient aux États le soin de définir les éléments de ce patrimoine culturel en faisant des inventaires qui devront être mis à jour, d’adapter leurs politiques pour sauvegarder les éléments identifiés comme appartenant au patrimoine culturel immatériel, de mettre en place des organismes de protection, d’encourager des études dans le domaine et de jouer un rôle éducatif et de sensibilisation à la protection de ce patrimoine culturel immatériel. La Convention précise, en outre, que les États pourront à cette fin utiliser tous les moyens appropriés.
Autrement dit, comme bien souvent, le texte international donne le ton, l’impulsion, des indications, mais rien de vraiment contraignant au final. Il revient aux États de définir ce qui rentre dans la catégorie à protéger et quels sont les bons moyens pour la protéger et la mise en place des politiques en résultant. On peut donc, ici relativiser la portée de cette Convention internationale puisqu’elle dépend malheureusement du bon vouloir des États parties.
Il n’existe pas de contrainte pour les États de maintenir, sauvegarder les pratiques listées comme faisant partie du patrimoine culturel immatériel; il semblerait donc que l’on soit en présence d’une simple obligation de moyen.
Toutefois, si on prend en compte le domaine d’intervention de cette convention, il y a fort à parier que les États sont plus enthousiastes que réfractaires à sa mise en place et que cette protection est plus un gage de leur engagement international et de leur volonté aux yeux de tous de protéger la culture, sans prendre de grands risques et voir une grande intervention du droit international dans le droit national. C’est donc une bonne façon pour les États de montrer qu’ils peuvent appliquer les Conventions internationales.
La question de la tauromachie est tout à fait intéressante, puisque pour une fois elle a suscité des débats plutôt houleux et montre que parfois la culture et des pratiques historiques peuvent prendre une grande place dans le débat national.

En France, l'application de cette Convention à la tauromachie se perçoit à travers la reconnaissance de cette pratique comme élément du patrimoine culturel français, mais aussi plus indirectement, par le biais de l'interprétation de textes nationaux.

II / Une pratique culturelle implicitement reconnue : Entre interprétation juridique souple et reconnaissance politique inavouée.

L'inscription de la Corrida au patrimoine culturel immatériel de la France est l'occasion de recentrer cette pratique dans son actuel contexte juridique (A) et politique (B).
Il est évident que cette question doit être traitée sous un angle à la fois juridique et politique, les deux ne pouvant être, à notre sens, dissociés.

A/ Une interprétation extensive par les juges de l'article 521-1 du code pénal réprimant les mauvais traitements envers les animaux .

Rappelons que la loi, expression de la volonté générale, pose le principe de l'interdiction de mauvais traitements envers les animaux en ces termes :

«Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende...

...Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »

L'article 521-1 du code pénal après son énoncé de principe prévoit plusieurs exceptions, dont celle des « courses de taureaux ».
Il s'agit d'une permission de la loi, on ne peut pas voir dans cette disposition une reconnaissance stricto sensus, pas plus qu'une consécration, c'est une tolérance que l'on accorde à cette pratique.
Cet article est ni plus, ni moins, le résultat d'une conciliation entre fervents défenseurs de la cause animale et aficionados.
Le principe reste et demeure l'interdiction des mauvais traitements envers les animaux, la course de taureaux en est l'exception, ainsi qu'il en ressort expressis verbis de l'article 521-1 du code pénal.

La course de taureau, dont l'absence de définition légale (ou à défaut jurisprudentielle) est à déplorer, échappe à la qualification de mauvais traitement, dès lors, qu'une tradition locale ininterrompue peut être démontrée dans la localité où se déroule la-dite course.

La pratique révèle cependant une interprétation extrêmement libérale des juges de l'exception prévue pour ces courses.
En témoignent les décisions des juges du fond et de la Cour de Cassation dont le contenu ne sera évoqué ici que sommairement.
Il ressort de l'étude globale de ces décisions, une interprétation de la tradition locale ininterrompue assez large, favorisant ainsi, le maintien de cette pratique culturelle.

S'agissant premièrement du critère de la « tradition locale », les juges doivent constater l'existence d'une tradition, et vérifier que cette dernière se manifeste localement.
La présence d''une tradition ne donne pas lieu à discussion, la Cour de Cassation en précise le sens en énonçant qu'elle doit être entendue comme une coutume, un usage local .

Traditionnellement, la coutume est celle qui peut se définir comme une « norme de droit objectif fondée sur une tradition populaire, qui prête à une pratique constante, un caractère juridiquement contraignant ; véritable règle de droit mais d'origine non étatique que la collectivité a fait sienne par habitude dans la conviction de son caractère obligatoire »

La Cour de Cassation précise la définition de la tradition locale dans un arrêt de la chambre criminelle du 6 février 1992 , il s'agit «d'une tradition qui existe dans un ensemble démographique déterminé par une culture commune, les mêmes habitudes, les mêmes aspirations et affinités, "une même façon de ressentir les choses et de s'enthousiasmer pour elles", le même système des représentations collectives, les mêmes mentalités ».

En revanche, le critère de la localité est celui qui illustre le mieux l'interprétation libérale des juges.
Pour vérifier l'existence de ce critère, les juges font appel à la notion d'« ensemble géographique ».
Alors même que le terme « local » fait référence à un endroit que l'on suppose suffisamment précis, une « zone géographique » désigne au contraire un espace beaucoup plus étendu.
C'est ainsi que la Cour de Cassation casse un arrêt de la cour d'appel au motif notamment qu' «en bornant leur recherche de l'existence ou l'inexistence d'une tradition locale ininterrompue au seul territoire d'une commune, alors que dans le texte précité l'expression « locale » a le sens « d'ensemble géographique.. » et décide que les juges du fond n'ont pas donné de base légale à leur décision .

S'agissant deuxièmement du critère de l'ininterruption de la tradition locale, il revêt un caractère extrêmement artificiel et il est réduit, en pratique, à une « peau de chagrin ».
Par exemple, les juges ont décidé que la destruction des arènes n'est pas suffisante pour justifier l'interruption de la tradition locale .

Ce très bref survol de la jurisprudence en matière de course de taureaux, est l'occasion de revenir sur l'aspect politique de la question, par le biais de son inscription au patrimoine culturel immatériel Français.

B/ L'inscription de la corrida au patrimoine culturel immatériel Français : Une initiative politique silencieuse mais active.

Au delà des aspects juridiques, la reconnaissance de cette pratique culturelle passe principalement par l'initiative politique.
L'inscription de la corrida au patrimoine culturel immatériel français constitue une initiative importante eu égard aux engagements qui découlent de la convention précédemment étudiée.
Néanmoins, cette intervention du politique est restée relativement discrète, par crainte sans doute, de déclencher l'hostilité de l'opinion publique semblable à celle qu'on pourrait observer après la mise en œuvre d'une mesure impopulaire.

L'inscription de la corrida au patrimoine culturel immatériel Français a suscité chez certains députés une totale incompréhension donnant lieu notamment à la rédaction de questions écrites destinées au Ministère de la culture et de la communication.
Par le biais de cette question , la députée concernée réagis à cette inscription en ces termes ; se disant par ailleurs « choquée » et « surprise » par une telle initiative.

La réponse du Ministère est pour le moins surprenante et en total décalage avec l'inscription effectuée.
Cette réponse laisse apparaître une minimisation excessive de l'initiative en question, le Ministère déclare que cette dernière « ne constitue en rien une forme de reconnaissance de la part de l'état, ni mise en valeur particulière ; en soi, elle ne constitue aucune forme de protection juridique et reste sans influence sur les législations ou réglementations éventuellement applicables aux activités recensées ».
Somme toute, cette inscription est réduit à très peu de chose, à tel point qu'à la lecture de cette réponse, on est tenté de s'interroger sur son utilité.
L'inscription au patrimoine culturel immatériel Français à pourtant pour objet au delà du simple constat, de valoriser une pratique, de la sauvegarder, de la fixer en tant qu'élément du patrimoine.
Quel intérêt sinon, d'inscrire une pratique culturelle dans le cadre d'une convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, si c'est pour restreindre cette inscription à une seule constatation matérielle ?
Ainsi, pour conclure, il serait illusoire de voir dans cette inscription une véritable reconnaissance ou une consécration juridique, mais pour autant, elle se place dans le cadre d'un instrument de protection reconnu juridiquement, initié par le politique et favorisant par conséquent le maintien de cette pratique culturelle.

Julie PASSE.
Pauline SERRE.


1- Et plus spécifiquement des corridas
2- G. Cornu, vocabulaire juridique, p667, 2007, puf, 1024p
3- Cass. Crim, 27 mai 1972 n° 72-90875
4- G. Cornu, vocabulaire juridique, 7 ed PUF, p248
5- Cass. Crim, 6 février 1992 n° 89-84675
6- Cass. Crim 27 mai 1972 N°72-90875
7- CA. Toulouse, 3 avril 2000 n°1999-03392
8- Question écrite n° 110716 de Mme la Députée Claude Darciaux au Ministère de la culture et de la communication.

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